Depuis quelques jours, il existe de sérieuses inquiétudes quant à une rapide propagation du Covid-19 dans quelques régions dont Béja, Sousse… Selon les chiffres officiels annoncés, le taux de tests positifs est passé de 4% à plus de 21% entre les mois de mai et juin 2022. Donc, le risque de rebond épidémique pourrait être majeur. D’ailleurs, pour certains spécialistes, il faut s’inquiéter et prendre en considération cette nouvelle vague qui pourrait gâcher nos vacances d’été alors que d’autres considèrent qu’elle est “faible” et n’aura pas les mêmes impacts que les précédentes. Kaissar Sassi, médecin anesthésiste-réanimateur au CHU de Toulouse et membre fondateur de l’Association des médecins tunisiens dans le monde (Amtm), nous en dit plus dans cet entretien.
Comment évaluez-vous, aujourd’hui, la situation épidémiologique dans notre pays ?
Nos expériences avec la pandémie de Covid-19 nous ont appris à toujours prendre ce virus au sérieux. Ayant été l’un des pays les plus touchés par ce virus dans le monde, avec plus de 28.000 décès, la Tunisie ne peut plus se permettre un faux pas.
Les données épidémiologiques actuelles ne sont pas inquiétantes. C’est ce qu’a confirmé le ministre de la Santé, lui-même universitaire en médecine communautaire et en épidémiologie. Mais de l’autre côté, on ne peut nier l’augmentation récente du nombre de cas positifs, probablement liée à la diffusion des variants BA.4 et BA.5 en Tunisie.
Les médecins généralistes et de famille se sont également inquiétés de l’augmentation, ces derniers jours, du nombre de tests positifs parmi leurs patients. Mais nous ne constatons toujours pas d’augmentation inquiétante du nombre de patients hospitalisés dans les hôpitaux et les unités de soins intensifs, ce qui reste un critère majeur reflétant la gravité de l’épidémie de la Covid. Pour résumer, nous vivons actuellement une nouvelle vague, mais elle ne sera pas aussi grave que celle que nous avons connue auparavant.
Toutefois, une vigilance extrême s’impose aux soignants et au gouvernement pour déceler le moindre signe témoignant d’une évolution atypique qui doit pousser à la recherche systématique d’un nouveau variant inconnu mondialement ou de la multiplication des clusters.
A quoi est dû ce rebond du coronavirus ?
Plusieurs facteurs épidémiologiques expliquent ce rebond. Tout d’abord, d’un point de vue virologique, les deux variants mentionnés ci-dessus, notamment le BA.4, sont effectivement plus contagieux. Mais ils ne sont pas plus virulents. Le pr Jean-François Delfaissy, président du Conseil scientifique de la Covid-19, a déclaré la semaine dernière que ces variants ne peuvent pas provoquer la même situation de saturation des hôpitaux que celle que nous avons connue avec le variant Delta.
Il y a aussi un facteur social qui est le retour complet des citoyens à une vie normale. Malheureusement, nous constatons que les citoyens ont complètement abandonné toutes les mesures barrières, telles que la distanciation sociale, le lavage des mains et le port du masque. Ce dernier fait son retour petit à petit dans beaucoup de pays qui connaissent une 7e vague actuellement.
Ajoutons que durant cette période particulière de l’année, la Tunisie connaît beaucoup de festivités, notamment les mariages et les célébrations du baccalauréat. Comme nous le savons déjà, les rassemblements d’un nombre élevé de personnes qui ne respectent pas les gestes barrières favorisent la propagation virale rapide. Un dernier point à souligner est l’utilisation de la climatisation, surtout lors des journées chaudes. Il a été scientifiquement prouvé que les espaces fermés et non aérés favorisent la transmission virale entre les personnes.
La direction régionale de la santé à Béja a classé la situation dans ce gouvernorat de niveau d’alerte “élevé” où plus de 170 cas positifs ont été détectés et où on a découvert 3 foyers de contamination. Comment expliquez-vous cette situation ?
La découverte de foyers de contamination appelés “clusters” est très importante pour briser les chaînes de propagation en limitant leurs contacts avec des personnes saines et en multipliant le dépistage des cas pour les isoler le plus rapidement possible.
Rappelons aussi que Béja et surtout Le Kef n’ont pas connu une véritable explosion épidémique depuis le début de la pandémie comme celle qu’a connu le reste des gouvernorats tunisiens. Je vous rappelle également que le taux de vaccination n’est pas optimal dans ces deux gouvernorats. Cela suggère qu’il n’y a pas assez d’immunité chez nos concitoyens vivant à Béja et au Kef. Ce qui les expose à un réel risque épidémique de propagation virale très rapide.
Donc, activer un niveau d’alerte «élevé» est une décision très pertinente et nous pensons qu’elle a été prise à temps.
La réponse du département régional de la santé de Béja démontre une excellente expertise et un savoir-faire qui ne peuvent qu’être salués et encouragés.
Risquons-nous des formes graves de contamination et faut-il craindre ce rebond épidémique ?
L’un des avantages majeurs et indéniables de la vaccination est la réduction du taux de formes graves d’infection par la Covid-19. Aujourd’hui, plus de 6 millions de personnes vivant en Tunisie sont totalement vaccinées, soit 53% de la population. Malheureusement, ce pourcentage est considéré comme faible puisqu’il ne nous permet pas d’atteindre l’objectif de l’immunité collective. Le reste de la population non immunisée risque toujours de développer des formes graves pendant une infection par la Covid-19. Et là, il n’est pas inutile de rappeler aussi que les formes graves de la Covid-19 peuvent mettre en jeu le pronostic vital de la personne et être à l’origine de séquelles graves, telle l’insuffisance respiratoire chronique.
Et n’oublions pas le long Covid. On n’en parle pas assez, mais cette pathologie est de plus en plus fréquente et elle est désormais reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et touche plus de 10% des personnes atteintes de Covid. Elle se manifeste par une grande fatigue, des problèmes de concentrations, des maux de tête, la non-récupération du goût et de l’odorat qui peuvent durer des mois après une infection.
Les vacances d’été, la saison des festivals… sont-elles menacées ?
Même si les pays développés, qui sont la première source de touristes pour notre pays, se permettent aujourd’hui un retour à la vie normale chez eux, ils restent intransigeants sur les frontières avec les pays où la circulation virale est importante. Cependant, je ne pense pas que la situation épidémiologique en Tunisie puisse les rendre craintifs. Je pense que notre situation est pour l’instant sous contrôle et que la saison touristique peut réussir et se poursuivre cet été. Sur ce point, nous nous permettons de rassurer les touristes désireux de découvrir Djerba et les plages tunisiennes. Ils seront en sécurité et sauront apprécier leurs séjours.
Quels conseils donneriez-vous pour éviter la répétition des mauvais scénarios qu’on a vécus durant les deux dernières années ?
Il est nécessaire de maintenir la sensibilisation des citoyens aux gestes barrières. Il est, également, temps de rendre le dépistage plus accessible et moins cher dans les laboratoires publics. Il est important de savoir que le dépistage est essentiel pour isoler les personnes infectées et briser les chaînes de propagation.
Mais la leçon la plus importante pour nous concerne bien évidemment nos capacités trop modestes d’accueil en réanimation. Il est inacceptable que nous ne disposons que d’une capacité de 700 lits de soins intensifs pour 12 millions de personnes, comme l’a confirmé l’ancien directeur des soins de santé de base, Dr Chokri Ben Hammouda.